Entretien avec Jérôme Froissart, secrétaire général de l’Amade

L’Amade, association mondiale des amis de l’enfance, célèbre cette année son 60e anniversaire. L’organisation déploie de nombreux projets afin de protéger les enfants les plus vulnérables contre la violence, l’exploitation et les abus, et favoriser leur épanouissement en contribuant à l’accès à l’éducation et à la santé. L’Amade et l’ANF ont entrepris de se rapprocher. Jérôme Froissart, secrétaire général de l’Amade, répond à nos questions.

En quoi consiste le programme « Un état Civil pour tous »?
À travers le monde on estime que 237 millions d’enfants de moins de 5 ans n’ont pas d’acte de naissance et 166 millions ne sont pas enregistrés à l’état civil. Ces enfants dits « invisibles » ou « fantômes » n’existent simplement pas officiellement pour les administrations de leurs pays et sont privés de leurs droits les plus élémentaires : accès à l’éducation, à un logement, à l’héritage…
Le programme « Un État Civil pour Tous » ambitionne ainsi de :
– Sensibiliser la population et les communautés locales à l’importance et aux enjeux de l’enregistrement à la naissance. Les législations nationales prévoient un délai durant lequel l’enregistrement de la naissance est gratuit après l’accouchement. Malgré cette gratuité, force est de constater que ces enregistrements ne sont pas automatiques. Souvent, les mères sont peu informées de l’importance de déclarer leurs enfants. Les frais d’enregistrement ou de régularisation, les coûts de transport jusqu’au bureau d’état civil sont autant de freins pour des populations affectées par la pauvreté.
– Informer les parents, les chefs de village, les leaders culturels et religieux de l’importance de la déclaration des naissances et former des agents d’état civil sont des actions indispensables afin d’augmenter le taux d’enregistrement et de faire prendre conscience de son intérêt fondamental. 
– Développer un plaidoyer international en faveur de l’universalisation de
l’enregistrement des naissances. Vingt-sept pays dans le monde interdisent aux femmes de transmettre leur nationalité à leurs enfants, cause de nombreux cas d’apatridie. Des cadres juridiques inadaptés et obsolètes, couplés à de faibles budgets publics alloués aux systèmes d’enregistrement des naissances, font augmenter considérablement le nombre d’enfants «invisibles ». Outre ces causes structurelles, les pratiques traditionnelles peuvent également avoir une incidence sur le taux de déclaration des naissances. Dans certaines cultures, le nom de l’enfant n’est divulgué qu’à l’occasion de son baptême, intervenant le 7e jour suivant sa naissance. L’AMADE s’engage pour faire évoluer les politiques publiques en faveur d’un système d’enregistrement plus adapté au contexte socioéconomique et culturel des pays. 
– Appuyer des initiatives locales en faveur de la déclaration et de la régularisation des naissances. Plusieurs initiatives contribuent à l’automatisation de l’enregistrement et à l’augmentation du nombre d’enfants déclarés à l’état civil. L’interopérabilité entre les centres de santé et les bureaux d’état civil est ainsi apparu comme l’un des facteurs principaux de changements significatifs pour renforcer la déclaration automatique des naissances dans le délai légal prévu par la loi. Lorsqu’un bureau d’état civil est ouvert dans une maternité, les mères sont en mesure de déclarer directement leurs enfants après l’accouchement et n’ont pas besoin de se déplacer. Les visites post-natales constituent également une opportunité pour procéder à cette déclaration qui n’aurait pu être faite après l’accouchement. De même, la mise en place d’audiences foraines décentralise la justice dans les villages pour enregistrer en masse les enfants à l’état civil sur plusieurs jours, et régulariser l’état civil des enfants non déclarés dans les délais légaux. Ces actions sont efficaces car elles permettent de délivrer automatiquement aux enfants les certificats de naissance dont ils ont besoin pour accéder au collège sans frais supplémentaires.

Quel programme développez-vous en République démocratique du Congo ?
Nous avons initié une initiative autour de la régularisation de 230 000 enfants dans l’est du pays. Nous appuyons au Nord Kivu, région de la RDC qui compte près de 1,8 millions de personnes déplacées internes dont 60% sont des enfants, une initiative pour rendre systématique l’enregistrement des naissances et la régularisation rétroactives des enfants sans acte de naissance âgés de plus de 90 jours. Nous accompagnons pour cela les bureaux d’état civil, les tribunaux pour enfants en terme d’équipements, de systèmes informatiques, de formation des personnels. Un effort particulier est également consenti pour la sensibilisation des acteurs de l’administration, des familles et des enfants au sein des écoles. Nous avons pour objectif la déclaration de 100% des naissances au sein de 15 centres de santé partenaires.

Et au Burkina-Faso ?
Le projet vise la régularisation de 10 000 enfants scolarisés au primaire qui faute d’état civil ne peuvent passer l’examen final du cycle primaire et ainsi poursuivre leur scolarité au collège. C’est la double peine pour ces enfants qui sont à la fois privés d’identité et d’instruction. Nous travaillons à la numérisation de l’état civil au sein de deux communes rurales, dans l’idée de pouvoir étendre ce dispositif à d’autres communes du pays.

Un rapprochement se dessine avec l’Association du notariat francophone. Pourquoi ? Qu’en attendez-vous ?
Avant de lancer cette initiative, il nous est apparu important de nous rapprocher des acteurs déjà engagés autour de cette problématique et c’est comme cela que nous nous sommes rapprochés du président de l’ANF, Laurent Dejoie, co-auteur du livre « Les enfants fantômes ». Grâce au travail d’information et de plaidoyer de l’ANF, c’est une thématique centrale et pourtant oubliée de l’aide au développement qui a ainsi été mise en lumière. Les témoignages de son ouvrage sont bouleversants, révoltants et nécessitent de passer à l’action. Diverses synergies se sont rapidement dessinées. Tout d’abord comment identifier d’ambassadeurs plus légitimes que les notaires pour porter le plaidoyer de ces enfants privés de leur droit à l’identité ? Nous avons un travail important à faire en vue de porter la problématique de l’état civil à l’agenda des politiques nationales ou internationales en termes de développement et de protection des droits fondamentaux des enfants. L’expertise des notaires membres du réseau du notariat francophone nous sera également fort utile dans les projets que nous allons soutenir ; en effet, il est nécessaire que les acteurs locaux s’approprient également cette cause pour faire changer les choses. Les notaires peuvent enfin être des soutiens et des prescripteurs de notre offre Philanthropique pour les donateurs privés. Il nous faut mobiliser des fonds pour mettre en œuvre ces projets, capitaliser ces expériences et les diffuser. L’AMADE a la chance de bénéficier du soutien du gouvernement princier et de certains de ses donateurs pour son fonctionnement, aussi 100% des dons dédiés à ce programme sont directement alloués aux projets soutenus.

En savoir plus
https://www.amade.org/fr/index.html